Lola Guiton

Etre le père d'un bâtard

Lola Guiton sera en résidence de création au Couvent de La cômerie du Lundi 6 au Samedi 11 mars 2023.
 

Note d’intention

En 2016 Lola rencontre Mina sur Internet. Elles ont le même âge ou presque. Lola vient juste de quitter l’adolescence que Mina découvre seulement. Lola vit en France, à Sète puis à Paris. Mina vit au Brésil, à Rio de Janeiro où Lola est allée en vacances avec son frère quand elle avait seize ans. Lorsqu’elle rencontre Mina, Lola pense beaucoup à elle. Mina ne pense pas à Lola. Elle ne la connaît d’ailleurs pas. C’est une rencontre unilatérale. Ce n’est même pas vraiment une rencontre; Lola ne sait de Mina que ce qu’elle lit dans le journal. Comment l’histoire de Mina à travers tout l’Atlantique est parvenue jusqu’à elle ? Deux possibilités : par son caractère extraordinaire ou par sa violence. C’est la seconde option qui a joué l’entremetteur entre les deux jeunes femmes. L’exercice de la violence par trois dizaines d’hommes sur le corps adolescent de Mina. C’est cette horreur qui fait entrer Mina dans la vie de Lola. Mais au-delà de tout, ce qui sidère Lola c’est ce qu’elle ressent. Elle condamne le crime du plus profond de son être mais son corps y répond comme en appel. Il s’anime comme s’il était question de quelque chose de désirable. Elle se déteste, se juge, elle a honte, se demande pourquoi, comment, elle se sent coupable, elle se sent sale.

Comment peut-elle ressentir du désir pour quelque chose d'abject, de criminel ? Et surtout d’où vient-il ? Pourquoi le ressent-elle ? Pourquoi l’exercice de la violence par un homme sur une femme lui fait l’effet de quelque chose d’excitant ? À quel endroit de sa vie son désir s’est-il construit en relation avec cette violence ? Avec cette domination ? Pourquoi existe t’il cette dichotomie entre son combat politique, sa pensée sociale et son désir ? Pourquoi ses fantasmes se manifestent en dehors de son cadre éthique ? Qu’est-ce que cela fait d’elle ? Où se situe sa responsabilité ?

De ce champ de réflexion naît une question essentielle, nécessaire, primordiale : le désir connait- il une éthique ?

 

Le projet
 

C’est autour de la question éthique du désir que je conçois la pièce Être le père d’un bâtard. Elle prend la forme d’un monologue porté par un je énonciateur.
Avec dans le désordre d’apparition : Mina, Shaïna et Mona; trois adolescentes, trois parcours similaires sur trois continents différents. Ainsi que l’intervention haute en couleur d’une marraine la bonne fée, dont les qualités de bonne et de fée restent à discuter.
Avec en vrac ces questions : d’où vient le désir, quelle est sa nature, est-il inné ou acquis, quels liens avec la pornographie, quelles responsabilités face à ses fantasmes, il y a t’il une morale au désir ?
Avec dans l’ordre ces thématiques : l’adolescence, la pornographie, les premiers émois amoureux, la découverte de la sensualité puis de la sexualité, le consentement, le viol, le déni, le féminicide.
Avec une écriture qui se tisse comme une partition à plusieurs tonalités : complice, poétique, sarcastique, révoltée, accusatrice, réflexive, chorale.
Avec une visée : mener l’enquête d’une sexualité en se faufilant dans ses méandres et tenter d’en dégager une cartographie.


La démarche
 

L’écriture se développe dans un double mouvement : celui de la recherche documentaire et de l’articulation fictive.
C’est en partant d’un ancrage dans le réel que le discours et la langue se construisent. Cet attache existe par les figures initiatrices de l’écriture mais aussi par un travail de collecte des rapports à la sexualité des gens. Les approches sociologiques, intimes et philosophiques constituent le corpus documentaire de ce projet. Intime parce que cette thématique l’est éminemment. C’est ce rapport qui la rend aussi complexe à traiter. Pour preuve, la question de l’éducation sexuelle fait toujours polémique. Le désir provoque des divergences immenses dans nos sociétés. Intime aussi parce qu’avant d’aller à la rencontre des récits des autres, c’est en moi que je vais d’abord sonder. C’est mon propre corps, ce sont mes propres constructions qui me donnent une entrée dans cette enquête.
À partir de cette matière, la fiction peut émerger. Elle vient par dessus le réel pour le dépasser et ainsi lui donner toute la latitude possible. Elle lui permet de le sortir de son cadre et de le faire résonner librement.
L’outil premier est la langue. La forme et le fond sont pris comme un seul élément. Les mots sont choisis, malaxés, mastiqués pour ce qu’ils sont signifiants et signifiés; l’un avec l’autre. Le rythme est un enjeux central et l’usage ou non de la ponctuation transmet et traduit les différents états que produisent l’écriture. La musique des mots est essentielle.